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La peine du bourreau - Estelle Tharreau


Attention : roman puissant !!!


Au préalable, je dois souligner que ce roman m'avait fait de l'œil d'emblée lors de la phase de présélection. Le thème de la peine de mort, en effet, est loin de me laisser insensible. A vrai dire, je fais partie de ceux qui considèrent que le progrès humain ne se mesure pas dans sa capacité à planter des antennes 5G ou à envoyer des touristes dans l'espace mais bel et bien, notamment, dans sa faculté à instruire, à soigner, à gouverner et donc à juger avec à propos, pertinence, humanité et justesse. Entre justice et justesse, il n'y a au fond que quelques lettres. Des lettres que l'application de la peine de mort dans certains pays efface avec une abnégation nauséabonde. Et ce d'autant plus inutilement que c'est prouvé de longue date : la peine de mort ne freine en aucun cas la criminalité. A ce titre, Robert Badinter, par son combat, a rejoint pour moi le Panthéon des héros de notre siècle. Grâce à lui, au moins sur ce point, notre pays peut se regarder dans la glace.


J'ai donc considéré ce roman d'Estelle Tharreau avec une attention particulière, d'autant plus qu'il constituait hélas ma toute dernière lecture pour le Prix des Auteurs Inconnus. Et je dois reconnaitre que c'est une belle manière de clôturer cette aventure. Car ce roman me laisse sous le choc tant son propos et sa puissance ne peuvent me laisser de marbre.


Le récit, dans un quasi huis-clôt, décrit les quatre dernières heures précédant l'exécution d'un condamné à mort dans une prison américaine. Un condamné dont la particularité est qu'il est lui-même un ancien bourreau. Une ironie qui accompagne une peinture sans concession du système judiciaire américain où la frontière entre justice et injustice et bourreau et victime n'a jamais été aussi mince.


L'un des grands points forts de La peine du bourreau, c'est qu'il est ultra-documenté. Et j'aurais envie de dire, qu'il l'est avec une grande finesse. Il ne déballe pas ce savoir et ces informations à la "va-que je t'en mets plein la vue". Il distille au contraire un climat et surtout quelques vérités, lentement, inexorablement, au même titre que le poison se diffuse dans les veines du condamné au moment de son exécution. Ce qu'il en ressort, c'est une sensation d'étouffement, de malaise constant, d'oppression. En ce sens, le lecteur se trouve lui aussi pris au piège dans ce fameux couloir de la mort. Et cette immersion est à mettre au crédit de l'auteure dont le style n'est pas sans rappeler celui des auteurs américains où les descriptions passent au travers de longs dialogues entre les protagonistes.


Au final, ce n'est pas QUE de la peine de mort dont parle ce roman. Ce n'est pas non-plus QUE de l'Amérique. Il parle de la folie du monde, de l'injustice sociale, du pouvoir de l'argent, de la misère culturelle et des difficultés à mettre un sens sur nos existences malmenées.


Il porte ainsi une dimension universelle !


Il parle aussi de l'organisation des hommes et de ces jeux de pouvoirs entre ceux qui décident et ceux qui exécutent. Et ce n'est pas l'aspect qui donne le moins froid dans le dos ! Cette pensée se résume en une réplique qui revient ici plusieurs fois dans la bouche des gardiens de prison chargés de la sinistre besogne. Et elle se décline tel un mantra qui aide à vivre après avoir rayé un condamné du monde des vivants : Je ne suis que le dernier maillon de la chaîne, il ne m'appartient pas de décider !


Combien aujourd'hui de ces derniers maillons, dans de nombreux domaines, punissent, licencient, excluent, contraignent parce qu'on leur demande seulement de le faire ?


Oui, au-delà du propos sur la peine de mort, cette Peine du bourreau juge ce monde qui va si mal. Et c'est en ce sens qu'il résonne bien après avoir refermé le livre.


Pour être complet, je tiens à souligner néanmoins que seuls les propos des journalistes me paraissent en-deçà (le récit est en effet ponctué par de brèves alertes où des journalistes interviennent à l'approche de l'exécution à la sauce "Breaking News CNN"). En deçà car ils amènent l'information avec beaucoup moins de subtilité. Mais après tout, n'est-ce pas le procédé habituel de ces chaînes d'info en continu qui cultivent davantage la sensation que l'information ?


Au final, j'ai donc envie d'adresser un grand bravo et un grand merci à Estelle Tharreau pour cet excellent travail et cette lecture très chargée en émotions. La peine du bourreau n'appartient pas pour moi totalement au genre noir, policier ou thriller. Il fait partie des témoignages dont on se souvient longtemps et qui nous habitent sans même que l'on s'en aperçoive.


Et cela, c'est la marque des excellents romans !!!



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