C’est avec un grand plaisir que j’ai accueilli la sélection de Mille jours sauvages pour le Prix des Auteurs Inconnus 2020. Un grand plaisir, parce qu’avec Cathy Borie, dont j’ai rencontré l’Histoire d’Ana l’année dernière, l’aventure de la lecture va au-delà de la simple découverte d’une histoire.
C’est un rendez-vous avec les délices de la langue française dont l’auteure est une véritable magicienne.
Son style narratif, puissantissime, s’appuie en effet sur un usage absolument impeccable d’un vocabulaire riche et d’une conjugaison d’une grande justesse (son usage du subjonctif imparfait est d’ailleurs proprement jouissif !). Le mélange, d’une efficacité redoutable, emporte alors le lecteur dans le tourbillon des destinées tragiques qu’elle dépeint. Un univers souvent sombre, mais une expérience qui émeut et prend longuement racine dans la mémoire du lecteur.
Avec son Mille jours sauvages, cette réalité s’accompagne d’un thème mobilisateur et qui me bouscule personnellement. Dans ce nouveau roman, Cathy Borie aborde en effet le sujet nécessaire du fameux "monde d'après". Celui qui surviendra lorsque l'humanité aura trouvé les limites définitives de ses erreurs. A l’heure où les catastrophes climatiques de toutes sortes se multiplient comme autant de signes d’une grande colère de la planète, cette thématique tend malheureusement à sortir de la fiction pure pour se ranger dans le registre de la réalité brûlante. Un sujet qui me fait tellement vibrer par son urgence qu’il en est d’ailleurs devenu le thème de mon quatrième roman. Oui, Cathy Borie est venue me chercher sur un terrain où je ne demandais qu’à être emporté.
Je n’ai donc pas résisté longtemps face à l’histoire de Jack et de Camille, deux survivants de cet ancien monde, encore sous le choc de la perte implacable des repères qu’ils croyaient peut-être eux aussi éternels. Deux êtres seuls, faits de failles et de drames qui vont apprendre à composer et à s’unir dans un espace rendu subitement inhospitalier, où la nature reprend peu à peu ses droits et où l’homme abandonne son statut de prédateur. Cathy Borie excelle ici dans la narration superbe d’un monde où les hommes n’ont presque plus leur place. Oui, il y a de la beauté dans l’anxiété lancinante de ce binôme qui ne s’est pas choisi, dans ces gestes obligés de se réinventer, dans cette perte d’illusions et cette impossibilité de se projeter. La peinture de ce nouveau monde, dont la rudesse n’est que le reflet de tous les excès qui l’ont précédé, est alors aussi implacable qu’envoutante.
Il y a dans cette réalité nouvelle, pourtant vraiment sauvage, quelque chose d’un trouble, presque un désir. L’attraction inavouable que l’on peut ressentir face à l’expression d’une vérité, après avoir été trop longtemps acteur et complice d’une civilisation fondée sur la consommation et le mensonge.
La chronique de ces jours, au moins jusqu’à la moitié du roman, est violente et douce, captivante comme cette humanité en train de renaître, à l’image du rapprochement entre Charlotte et Jack. J’ai éprouvé, j’ai réfléchi, j’ai vibré. Et c’était bon, délicieusement bon.
Hélas, je ne peux pas taire une rupture soudaine dans la délectation de cette lecture. Une sensation d’inachevé qui m’a laissé un goût étrange, comme un beau chemin qui s’arrête soudain et laisse à mi-parcours un peu démuni.
Je situe cette rupture au moment où Cathy Borie aborde un temps fort du passé de Jack avec l'apparition du personnage d’une jeune comédienne à laquelle il se lie, Charlotte. Un personnage et une trajectoire en lesquels je n’ai pas cru. Cette non-adhésion en a été presque douloureuse tant les promesses jusque-là étaient grandes. La situation finale m’a paru moins bien amenée, pas forcément de beaucoup, mais en tous cas, suffisamment pour que crédibilité et cohérence s’en ressentent. La suite, derrière, a épousé pour moi cette forme de décélération (et pourtant, étrangement, l’action s’y accélère). J’ai eu quelque part l’impression de perdre un fil. Les dernières séquences s’enchaînent mais leurs liens s’effacent comme des pas dans la neige et si l’écriture reste belle, elle perd de sa force, cette puissance qui constitue l'extraordinaire atout de l’auteure. Même le climax de cette histoire bouleversante m’a laissé un peu circonspect, comme la fin, quoique jolie et ouverte sur un monde d'espoir. Peut-être que Cathy Borie m’a rendu exigeant ? Je sais en tous cas que l’on attend beaucoup de ce qu’on aime. Peut-être beaucoup trop et je l’assume. Je ressors donc de ma lecture à la fois sous le charme et malgré tout un peu déçu, avec la sensation de ne pas être passé forcément très loin d’une œuvre grandiose.
Mais je n'ai eu à faire "qu'à" un bon roman, et c'est déjà beaucoup ! Merci madame Borie !
Bonjour Laurent, et merci pour cette chronique, très positive dans l'ensemble. Et pour l'aspect "négatif", vous avez l'art et la manière d'utiliser les mots avec soin, justesse et bienveillance. Je suis bien sûr désolée de ne pas vous avoir convaincu de bout en bout avec Mille jours sauvages, mais j'espère de tout coeur que le prochain roman saura vous reconquérir. Merci encore ! Cathy